J’ai discuté avec Ange Basterga de son premier long métrage « CAÏD »

16 octobre 2017

Habitué des l’univers de la banlieue, des voyous et du grand banditisme (Ter Ter, Le Talion, Voyoucratie), Ange Basterga livre son premier long-métrage sur le sujet. Nous le retrouvons dans « Caïd » (titre du film) à la réalisation derrière la caméra, mais aussi devant, puisqu’il tient dans cette production indépendante le rôle d’un journaliste en immersion dans les quartiers nord de Marseille dans lesquels il tente de comprendre l’univers des caïds qu’il va suivre H24 avec leur accord.

Comment est né le film et comment a t-il évolué ?

J’ai eu l’idée du scénario en janvier 2016. Nicolas Lopez qui est co-réalisateur de ce projet avec moi fait des clips pour des rappeurs de la scène underground des quartiers nord de Marseille. En voyant ça, je lui ai dit « c’est énorme les connexions que t’as. Ce serait génial qu’on puisse assembler tout ça. Toute cette énergie dans un long métrage ». Donc début 2016, j’ai écris le scénario en à peine un mois. Ça a été très vite. Et on a tourné en décembre 2016. On était en équipe réduite, un perchman, un ingénieur du son, un assistant et on était deux à co-réaliser. Donc cinq personnes en tout. Puis on en a eu pour sept mois de montage, remontage, visionnage et le reste. Sur la post-production Nicolas a tout fait : montage, étalonnage, mixage son. Il a tenu 15 postes facile (rires). On a pas eu le choix sinon on se retrouvait vite hors budget. Du coup personne n’a été rémunéré pour le moment.

Malgré ce manque de moyen, pourquoi avoir tenté l’aventure d’un long-métrage ?

Moi ça fait 10 ans que je travaille dans ce milieu. J’avais des longs-métrages qui étaient en développement et qui sont tombés à l’eau, du moins qui ont été abandonnés. Du coup ce film est vraiment né d’une frustration car on nous donne pas notre chance pour un premier long métrage sur de la réalisation.

Le deal c’était de faire un long en 4 jours, avec un résultat professionnel. Pour des contraintes budgétaires, à l’écriture du scénario, je me suis focalisé avec Nicolas sur ce qu’on pouvait avoir gratuitement en terme de lieu. Au début on devait tourner dans les quartiers Nord de Marseille. Après je t’apprends rien quand je te dis qu’à Marseille il y a eu 45 assassinats dans les quartiers Nord l’année dernière. Donc pour toutes ces raisons, on a tourné à Martigues, dans un quartier que Nicolas connait bien. Du coup on a délocalisé 70 jeunes des quartiers Nord de Marseille qui sont venu tourner à Martigues.

Comment s’est passé la collaboration avec tous ces acteurs ?

Tous les acteurs que tu vois dans le teaser, et que tu verras dans le film, ce sont des gens qui à 95% ne sont jamais passés devant la caméra. Il doit y avoir deux ou trois comédiens dans le lot. Et tout le reste c’est que des non-professionnels. C’était leur première expérience devant la caméra. Et c’est pas évident pour des amateurs sans aucune expérience.

Il me fallait 2 personnages principaux. Un ami m’a présenté « El Kid » et Mohamed Boudouh. Je leur ai fait répéter la moitié du film en amont sur un week end. On faisait des essais pour voir s’ils pouvaient tenir la cadence. C’est pas évident de tenir un long-métrage quand tu n’en as jamais fait un. Surtout dans des conditions extrêmes comme celles-là. On a fait une grosse préparation, parce que tourner en 4 jours, si t’as pas de préparation c’est dur de tenir les délais.

Quand on a débarqué dans les quartiers Nord, ils se sont dit : « encore un film qui va pas aller au bout ». Mais je pense qu’ils étaient aussi fous que moi et ils se sont dit « on va voir, il a un discours qui tient la route ».

« J’aimerais bien que d’autres réalisateurs les prennent dans leurs films ».

Et je n’ai que des bonnes anecdotes sur tous ces jeunes. Je suis tombé sur des jeunes très polis, très bien éduqués, avec une super énergie, toujours prêts à dépanner, à trouver des véhicules, des figurants supplémentaires quand j’avais besoin de nouvelles têtes. On a eu plein de facilités dans le quartier et ça nous a fait gagner du temps sur le tournage. C’était génial. Que des bons souvenirs. Il y avait du respects mutuels entre nous. Je leur donnais autant de respect que si je m’adressais à un producteur parisien ou à un directeur de chaîne de télé. Je pense que c’est ça qui leur a plu.

Tous les gens que tu vois dans le film, c’est des jeunes des quartiers nord. C’est des surveillants, des éducateurs, certains sont chefs d’entreprises. Il y en a qui sont à l’école. Après, l’acteur principal « El Kid », c’est un rappeur. Il ne jouent pas leurs histoires. Ils font une véritable interprétation. Les gars, j’insiste vraiment dessus, c’est des artistes. Je veux pas qu’on les mette dans des cases. J’aimerais bien que d’autres réalisateurs les prennent dans leur films.

 

Pourquoi un docu-fiction sur la banlieue et les caïds ?

Je me suis creusé le cerveau pour trouver un angle d’attaque original qui sorte du lot. Des films sur les caïds et la banlieue, ça a déjà été fait, donc l’idée première, c’était de savoir comment sortir du lot sans argent, et puis de se débrouiller pour que ce soit de qualité. Même si tu n’as pas d’argent, t’as pas d’excuse. Parce que le téléspectateurs ne regarde pas si tu as 10M d’euros ou quelques milliers d’euros comme nous. Il fallait que je trouve un point de vue original. Dans un long-métrage classique, tu peux pas tourner en 4 jours. Avoir ce point de vue là, ce postulat de long-métrage sous forme de documentaire en immersion, ça nous a permis de boucler le tournage en 4 jours. Avec une Gopro sur moi et un caméraman qui me suit. Ça nous permettait de faire des plans séquences pour aller plus vite. Dans le film, tu vois le perchman qui rentre dans le champs de la caméra, mais on s’en fout, parce que ça fait parti de la réalisation. C’était prévue comme ça.

« On ne sait pas ce qui vrai et ce qui est faux ».

La banlieue et les caïds, c’est un sujet que je connais très bien. C’est une rythmique dramaturgique qui me tient à cœur. Et souvent je regarde des reportages et des documentaires le soir, genre avec des titres « panique en banlieue » etc. Tu sens la mise en scène dans le reportage. Et je me suis dit : « Et si nous on faisait un faux reportage ou les situations sont réelles. Parce que tu te dis que si demain un caïd est assez fou pour se faire suivre H24, ça donnerait un reportage de folie. L’idée était donc de creuser dans la fiction ce qui est rarement fait sur ces sujets dans certains reportages. Tout ce que tu vois, ça transpire la vérité. T’as l’impression que c’est des vrais voyoux. Forcément ils doivent avoir des amis d’enfance, des connaissances qui forcément sont là dedans. Et je leur ai demandé de s’en inspirer. De s’inspirer de ce gens là qui finalement ne sont pas si loin d’eux. Ce qui permet de semer le doute au téléspectateur. On ne sait pas ce qui vrai et ce qui est faux.

 

C’est compliqué de produire des films sur la banlieue ?

Le problème dans le cinéma français, c’est que ce type de film fait peur. Ça fait peur parce que c’est pas conventionnel. Ils ont peur du publique qu’il y aura. Faut pas se voiler la face. C’est compliqué. Pourquoi il n’y a plus de film sur les quartiers depuis des années ? Il y a en un par an au mieux. L’année dernière « Choof », l’année d’avant « Sous X ». Mais si tu fais le bilan, depuis 10 ans, t’as un film par an qui est fait sur les banlieues. Allez je vais être gentil, deux. Tu sens qu’il y a une volonté des productions de ne pas aller là dessus. Ça peut s’expliquer avec le rapport de notre histoire dans le cinéma français.

« En France on aime bien faire des films plus philosophiques, des films d’auteur ».

Je te donne un exemple : aux État-Unis, ils ont eu le 11 septembre, 6 mois après ils faisaient un film dessus. Depuis ils en ont fait trente. Sur la guerre du Viet-Nam il y en a eu une trentaine. Sur la guerre d’Algérie, il y en a eu un de fait. En France on aime bien faire des films plus philosophique, des films d’auteur. On aime bien faire des films de niche. Alors il y a des sujets qui sont mis au diapason. Mais j’espère qu’on trouvera des gens suffisamment courageux parce qu’il y a un marché. Tous les jeunes aiment regarder des films comme Gomora, Narcos. Mais nous on propose pas des sujets comme ça et c’est dommage parce que la France a une histoire énorme.

 

Et le film en est où actuellement ?

Là pour le moment c’est nous qui le faisons vivre. Sur les réseaux sociaux, sur internet, un peu comme on peut. La bande-annonce a fait plus de 100 000 vues sur Facebook. Le truc tourne tout seul donc avec un peu de promo, ça peut prendre. On voudrait qu’il passe en salle, en télévision, qu’on puisse faire bouger les lignes avec un projet comme celui là.

On a été nominé pour les festivals d’Arte Mare de Bastia et celui de Cognac, et on vient de faire le Urban Films. Une quinzaine d’acteurs est venue. Ils ont été bien reçus et on était super fiers. Ça avance donc je reste optimiste mais c’est pas encore fait tant que j’ai pas signé et que je débarque pas dans les quartiers nord avec des chèques pour tous ces jeunes en leur disant « voilà les gars on l’a fait ». J’espère qu’on pourra trouver une production qui chapeaute le film et qui pourra le distribuer et le faire vivre.

Karim Maanane

KARIM MAANANE

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